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“Kontakthof” de Pina Bausch : une entrée au répertoire de l’Opéra de Paris très réussie

Hélène Kuttner 3 décembre 2022
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©Julien-Benhamou-OnP

Après Le Sacre du Printemps et Orphée et Eurydice, voici la pièce emblématique de la chorégraphe allemande, créée en 1978, qui fait son entrée au Palais Garnier avec une trentaine de jeunes danseurs à la personnalité marquante. Talent, théâtre et émotion saisissent les spectateurs en voyant cette création hors-norme revivre sous nos yeux comme un tourbillon de vies.

Salle de bal

©Julien-Benhamou-OnP

Pina Bausch, la chorégraphe aujourd’hui adulée, adorée, vénérée, avait pourtant fait largement scandale à l’époque où elle a commencé à inventer le Tanztheater, sa compagnie de danse basée à Wuppertal en Allemagne dans les années 70, dont le nom associe si justement la danse et le théâtre. Dans les oeuvres de cette géniale analyste de nos comportements, on danse, mais aussi on parle, on joue, on rit et on crie parfois. Entre notre apparence et nos non-dits, entre ce qui est montré et ce qui est caché, la magicienne Pina Bausch, servie par des interprètes engagés, fait parler les corps, fait vivre les émotions, fouille nos pulsions intimes. C’est le cas, d’une manière formidablement accessible à tous, dans Kontakthof, littéralement « lieu de rencontre, de contact », qui se déroule dans une vaste salle de bal à l’ancienne, où des rangées de chaises sont alignées le long des murs avec un piano droit dans un coin. En robe en cocktail seyantes et perchées sur des talons aiguille noirs, treize femmes sont assises en rang d’oignons, avec le même nombre d’hommes, cheveux gominés, engoncés dans des costumes sombres à double boutonnage. 

Parade

©Julien-Benhamou-OnP

Puis la musique déverse ses chansons romantiques et douces, et la parade commence. On se présente, on se montre, on se cambre, on parade. Dans les lumières et la scénographie de Rolf Borzik, chaque danseur est un animal social qui cherche à séduire, se heurte au réel, cherche une proie, avec tendresse et violence. Ardeur et déception, bref, nos émotions les plus ordinaires, en un seul geste, avec une économie de moyens physiques qui n’épargnent par le spectaculaire, la surprise. Les chaises, les portes qui claquent, les murs, le piano deviennent des accessoires de jeu, pour en jouer, s’y frotter et s’y cogner, tandis que Juan Losas, la « star allemande du tango » chante ses vieux tangos des années 1920, et les musiques des films de Chaplin ou celles de Nino Rota pour les films de Fellini s’échappent délicieusement d’une sono sans âge. Où est-on ? A quelle époque ? Hier, ailleurs, ici et maintenant pourrait-on dire, tellement le spectacle, dansé ici par de très jeunes danseurs, n’a pas pris une ride. Curieusement, alors qu’ils sont quadrilles, coryphées ou sujets, autour d’Ève Grinsztajn, formidable Première Danseuse et Germain Louvet Danseur Etoile, et donc soumis très tôt à une exigence professionnelle de haut niveau, ces danseurs font tous ici preuve d’une grande créativité, d’une fantaisie et d’un humour remarquable avec un bonheur d’être sur scène réjouissant.

Cirque

©Julien-Benhamou-OnP

D’emblée, en robe rouge écarlate, Héloïse Jocqueviel impose sa présence effervescente, frémissante entre rires et larmes, petite fille vexée ou jeune femme au bord de la crise de nerfs, s’effondrant corps et âme dans un mystérieux mélodrame. C’est le fil rouge de cette représentation qui exige de ses interprètes un sacré tempérament.  Caroline Osmont dévoile de vrais talents de comédienne en chef de troupe déchaînée, Charlotte Ranson excelle en jeune pimbêche cruelle et séductrice, Axel Ibot, Fabien Révillon, mais aussi tous les autres danseurs qu’il faudrait mentionner, paraissent aussi à l’aise avec leur corps qu’avec la parole, puisque le maître du jeu, Maxime Thomas, leur demande de raconter un début d’histoire d’amour au micro. Amour, dépendance, violence, regrets et tendresse, les corps obéissent à une géographie relationnelle dont chacun a le secret. La chorégraphe, qui a brutalement disparu en 2009, est représentée artistiquement ici par ses danseuses historiques et charismatiques, Julie Shanahan et Jo Ann Endicott, alors que Breanna O’Mara, Franko Schmidt et Anne Martins ont assuré la direction des répétitions. Saluons les tous, les anciens comme les tous jeunes danseurs, qui portent cette oeuvre avec tellement d’incandescence et de vitalité qu’elle en devient décidément si vivante!

Hélène Kuttner 




 

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